Tuesday, December 8, 2015

Batterie et Bouddhisme

Batterie et Bouddhisme
Sehb Tworowski

La batterie comme un miroir de la vie.
Batteur du Quartet Carol Nakari and Friends, responsable et enseignant de l'école bilingue Franco/Anglaise de batterie "Drums-Teaching" dans le sud de la France, Bouddhiste pratiquant et enfin instructeur en méditation, Sehb Tworowski propose une approche de l'instrument différente de celles habituellement rencontrées. Une approche ou l'apprentissage de la batterie n'est pas orienté uniquement vers l'instrument mais plus comme une continuité, une expression et inter-être avec l'instrumentiste.  En voici quelques points-clés.

La concentration pour plus de développement
Mon premier contact avec l'instrument était chez un ami compositeur/multi instrumentiste (Frank Smith). J'avais passé un certain temps à travailler sur un rythme  basique mais qui m'avait demandé beaucoup de concentration. suite à cela, j'étais rentré chez moi avec un profond sentiment de calme. Mon corps et mon mental ne faisaient qu'un. Je n'étais pas perdu dans le monde des pensées, l'esprit totalement ailleurs. Mon corps  et mon mental faisaient équipe. Je me sentais équilibré intérieurement mais je n'avais pas encore assez de recul que pour comprendre le phénomène.
C'est avec cette mentalité aujourd'hui que je conseille à mes élèves l'approche des rudiments. Certaines personnes aiment travailler les rudiments et d'autres ne supportent pas ça, ils s'ennuient rapidement. Quand nous travaillons les rudiments dans ma classe, j'aime en prendre un de l'incontournable "stick control for the snare drummer" et le jouer non-stop pendant dix minutes. J'invite l'élève non pas à se focaliser sur ce qu'il est en train de faire en terme de performance musicale mais plutôt sur le ressenti dans les doigts, bien ressentir le rebond, écouter le son que fait chaque baguette sur le pad car chaque baguette génère un son légèrement différent. Je les encourage à écouter la mélodie que ces deux notes forment ensemble : une mélodie obsessionnelle qui permet à la fois de se détacher du côté mécanique de l'exercice mais aussi d'aller plus profondément dans le rythme et le doigté joué. 
J'ai pu remarquer qu'il était beaucoup plus facile de mémoriser une mélodie plutôt que de mémoriser un certain doigté. Une fois la mélodie en tête, je n'ai plus à penser le doigté mais juste à jouer cette mélodie à l'aide des deux sons différents produits avec les baguettes.
Jouer la même chose de manière répétitive pendant au moins dix minutes permet d'entrer dans le rythme de façon beaucoup plus intime si on veut. Cela permet non seulement de l'encrer dans la mémoire musculaire mais aussi d'écouter le même rythme de plusieurs façons différentes. La musique de Steve Reich m'a beaucoup influencé je dois dire dans cette approche. Magma aussi, toutes ces musiques obsessionnelles qui permettent de pousser le niveau d'écoute à un niveau toujours plus profond. Non seulement jouer un rythme mais l'écouter en étant détaché de l'intellect et pouvoir le vivre directement de l'intérieur.


L'indulgence envers soi-même. Plus je me juge comme compétent ou incompétent plus je m'éloigne de la vérité. Je ne suis ni l'un ni l'autre, je suis simplement en train d'évoluer dans un sens ou dans l'autre. Le sens de l'évolution ne dépend que de moi. On respire et on continue le travail dans le plaisir.
Il est important de ne pas être trop sévère dans la critique. Analyser, voir ce qui va et ne va pas fait partie du travail mais se tirer une balle dans le pied ou s'auto congratuler ne fait avancer en aucun cas. J'invite l'élève à regarder les choses pour ce qu'elles sont et non au travers d'un jugement qui ne se base finalement que sur notre façon de les interpréter.

L'esprit et le corps Un corps calme et détendu donne un esprit posé et concentré, réceptif. Egalement, un esprit calme favorise des muscles détendus. Je dis toujours : "On s'installe derrière un pad comme on s'assoie sur son coussin de méditation." On s'y prépare. On ne s'installe pas derrière le pad et "hop c'est parti". La façon d'aller vers l'instrument, l'état mental dans lequel on est lorsque l'on marche vers l'instrument est primordial. Si je vais vers mon pad en pensant à l'email que je dois écrire ou au coup de téléphone que je dois passer, je ne suis pas concentré et donc pas préparé au travail. Si par contre je me dirige vers mon pad, l'esprit focalisé sur la sensation que je ressens dans mes doigts en marchant et que je suis attentif à ma respiration, au moment de m'assoir derrière le pad, mon esprit sera beaucoup plus posé et concentré, Il me sera beaucoup plus aisé d'utiliser mon temps de travail de manière optimale. 
Pareil pour un concert. Je n'arrive pas deux minutes avant de monter sur scène. 
A ce sujet, je recommande un travail de groupe avant le concert. Dix minutes suffisent. Le groupe s'assoit en rond par exemple et tout le monde ferme les yeux. Là, je fais comme un auto-scan de mon état d'esprit : 
- suis-je tendu ?
Si oui, dans quelle partie du corps ? Comment cela se manifeste-t'il ? Quelle semble en être la cause ?…
Si je trouve des tentions alors j'y pose mon attention et passe le temps nécessaire à détendre cette partie du corps.
Ensuite, une fois les points de tension détendus, je pose mon attention sur ma respiration, sans chercher à la contrôler mais juste en être témoin. A chaque pensée qui me sort de ma concentration, je retourne à ma respiration. Je conseil vivement cela afin de se recentrer non seulement sur l'union corps/mental de chacun mais également en tant que groupe.
En montant sur scène, le groupe ne sera que plus uni, un tout. Pas un musicien calme et un autre à l'état de pile électrique sinon, il sera difficile de jouer en cohésion.

La respiration dans le rythme. Je constate trop souvent, particulièrement avec les débutants, que lors du travail de technique sur le pad, les élèves cessent de respirer et se retrouvent rapidement en apnée. Apprendre à respirer en jouant est important. Profiter d'un quart de soupir pour respirer permet de rester en rythme car la respiration est entièrement incorporée à la musique interprétée. Si la respiration et le rythme s'harmonisent alors le geste sera musical et dans le temps.

La créativité.
Ecouter trop de musique étouffe la créativité. Serte il est bon de développer sa culture musicale et j'incite les gens à écouter toute sorte de musiques mais s'il y a une musique qui mérite toute notre attention, c'est celle qui vie en nous. Ecouter trop de musique en étant musicien revient à vouloir regarder les étoiles à partir du centre ville - la pollution lumineuse ne vous permettra pas de voir le ciel profond. Je compare également ce phénomène à notre culture qui n'écoute quasiment jamais autre chose que le flot incessant des pensées et se laisse ainsi emporter dans un torrent de non-sens et s'éloigne toujours plus de sa nature d'inter-connexion avec un tout, pour s'enfoncer d'avantage dans l'isolement de l'ego et de l'incompréhension. Comment peut-on espérer y voir clair dans le brouillard ? Trop écouter de musique c'est ne pas laisser place au silence indispensable à l'écoute subtile de notre propre musique intérieure. 

La batterie et l'acoustique comme des miroirs de la vie.
Le sujet est large mais je vais prendre un exemple qui parlera à tous : la boucle cause/effet aussi rattachée au vaste sujet du Kharma en Hindouisme et Bouddhisme.
Mon état d'esprit va directement influencer mon état émotionnel qui, à son tour va influencer mon état corporel. Bien entendu ce dernier influencera à son tour mon geste musical et le résultat sonore au moment de l'échange avec l'instrument. Jouer d'un instrument doit être un dialogue entre le musicien et son instrument. Dans un dialogue, l'énergie doit pouvoir circuler de manière égale dans les deux sens sinon, c'est un monologue. Si je garde la main fermée au moment ou ma baguette entre en contact avec un des instruments de la batterie, je bloque instantanément l'énergie que l'instrument me renvoie (ce qui peut être un effet parfaitement contrôlé). Si par contre j'ouvre la main au moment de l'impact alors, l'énergie qui m'est renvoyée a toute la possibilité de s'exprimer et la baguette revient toute seul en position haute, prête pour le geste suivant.  Le dialogue musicien/instrument est égal. De la même manière, un musicien énervé va générer un tout autre son que lorsque celui-ci est parfaitement calme et détendu. Sans vouloir juger l'un ou l'autre, là n'est pas le propos. Mon approche est d'en faire prendre conscience à mes élèves. Toujours être conscient de son état intérieur développe la concentration et permet plus de contrôle. "What goes around, comes around" comme on dit en anglais. 
Bien entendu, éviter les drogues et l'alcool qui ne font que mettre la personne dans un monde parallèle hallucinatoire.

La présence.
Que signifie être présent ? Etre présent c'est être totalement dans ce que l'on est en train de faire. C'est être continuellement conscient de son état intérieur et de l'impact que cela a sur nos actions / notre comportement dans le monde extérieur. Si je suis conscient de mon état intérieur, je suis beaucoup plus réceptif aux informations que me donnent mes différents sens et à la manière dont je vais les utiliser. C'est moi qui choisi continuellement. De ce fait, je suis plus à l'écoute (ouïe) , je me laisse moins distraire par ce que je vois (vue) et suis donc plus concentré. Enfin, mon sens du touché est en éveille et je peux ressentir ce que je joue. Je ressens les vibrations dans les baguettes ainsi que dans les pieds. Je peux ressentir le geste. Cela peut s'avérer particulièrement utile en situation de concert, si par exemple je n'entends pas assez ma grosse caisse. Le fait d'être à l'écoute de mon sens du touché me permet de sentir les coups sans forcément les entendre. Enfin, le touché permet une meilleure maîtrise du geste. Plus je suis présent dans le moment, au mieux je contrôle mon geste.. Il est intéressant à ce sujet de se pencher sur l'approche de Miss Evelyn Glennie, grande percussionniste sur laquelle vous trouverez un excellent reportage sur youtube (a journey through sourds)
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Toutes ces démarches sont des façons d'aborder la batterie avec un regard plus large et non focalisé sur  l'instrument. L'instrument n'est qu'un leurre auquel il serait facile de se laisser prendre. En y regardant plus profondément, on se rend compte de tout ce qu'il y a à comprendre au-delà de l'instrument et, de ce fait, il est possible d'approcher  la musique avec une vision plus juste, développer une réelle approche musicale dans la finesse, des nuances, de la respiration et du geste.
De nos jours, je trouve que de plus en plus de batteurs jouent sans la moindre nuance. Tout est dans la force et la rapidité. Je n'ai rien contre l'une ou l'autre mais la finesse semble de plus en plus rare. Regardez un batteur comme Joey Baron, ce musicien est un vrai régal pour les oreilles, d'une musicalité incroyable, de la finesse, de la mélodie, des nuances… de la sensualité !
Brian Blade fait également partie de ces musiciens selon moi.


Pour en savoir plus sur Sehb Tworowski : 

- Facebook : Sehb Tworowski - Drummer



2 comments:

Le Van " U-Mat " Hieu said...

Bonjour,

Un article intéressant sur le thème de la concentration, qui n'est pas uniquement propre au bouddhisme.
Cependant, il est vrai que dans certaines situation, on peut vivre une sensation similaire (soit-disant) à la répétition de mantras.Christian Vander en est , pour moi, un très bon exemple : " ...a love suprême....a love suprême...a love suprême..." (another day dans Offering)
Il y a en effet un état de transe qui s’opère. Mais n'est-ce pas là le propre de pratiquer ou/et danser les rythmes ?

Vous parlez d'état d’esprit , d'instant présent, assez justement.
Mais j'aurais tendance à penser que pour que cela relève du bouddhisme, il serait intéressant de creuser l'idée d' "intention" comme vous dites.
Qu'y mettons-nous dedans et pour quelle motivation ?
y répondre ici,ne serait-pas peut-être pas forcément à propos...sans compter les avis différents selon les traditions, ce qui rend le débat un peu plus corsé , au passage...

Alors , la batterie comme une pratique Spirituelle ou de Bien-être au sens large ? Présenté comme vous le faites c'est indéniable.
Comme une pratique "bouddhiste" ? je ne sais pas ...

Muzikalmement

Aux Karmas des Renkontres

Le Van " U-Mat " Hieu said...

P.S :
j'affine un peu mon propos si vous le permettez,

en fait ça me rappelle ce que dit CV à propos de sa recherche personnelle et d'autres musiciens avec qui il bossait : le fait "d'être en conscience , en musique".

la musique et la danse dans de nombreuses civilisations anciennes ont été pratiqué sous l'angle spirituelle.Il y avait en effet un "état" recherché.Alors évidement ça s'inscrivait dans le courant culturel et spirituel pratiqué.
Si les chants grégoriens et moyen-orient vont vers le haut, c'est évidement pour se rapprocher de Dieu.Les danses où il y a comme une lévitation, de même, je suppose.
Les voix graves de certaines traditions bouddhistes (pas toutes)rappellent le fait d'aller chercher l'énergie en nous même....

Je pense que si l'on mène une vie spirituelle quelle qu'elle soit , elle nous amène à ce genre d'état, et pas seulement pour les arts ; on peut y retrouver une certaine quiétude et une pratique dans des taches quotidiennes et dans nos vies professionnelles.

Entendons nous bien,le fait que je baragouine (mal en plus) qques chants tibétains, n'en fait pas de moi un meilleur pratiquant et du bouddhisme et de la musique. Nous sommes d'accord c'est purement à but folklorique dans son piètre rendu.
Dans l'intention, ça ne regarde que le pratiquant, et il serait difficile pour les auditeurs de savoir si il est honnête avec lui même ou pas, à moins de tomber sur qqu'un de clairvoyant, ce qui est aussi possible....

Mais on n'est pas obligé de se convertir non plus, hein ?
La pratique de la concentration sur le souffle est sûrement la chose la plus neutre et commune à tous , vu que tout le monde respire.

Muzikalmement
Aux Karrefours des Karmas...

Je salue au "passage" les qques membres qui m'ont croisé sur La drummerie ;o)